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Jean GEORGER (1919-2000)

 

sergent Georger Jean à Sagan en 1942

Jean Georger figure en haut à droite

Jean Georger est né en 1919 à Mont-saint-Martin (Meurthe-et-Moselle). Après des études secondaires, il est embauché comme employé de bureau aux « Aciéries de Longwy ».

Mais la perspective d’une carrière dans l’usine ne lui convient pas. Il devance l’appel en octobre 1937 et s’engage dans l’armée, il est affecté 158eRI à Mutzig.

Il est nommé sergent en 1938.

Il part en guerre en 1939.
Prisonnier de guerre au stalag Sagan VIIIC, puis en Kommando, il bénéficie d’un « congé de captivité » en 1942.

Matricule 25.472
Notre famille est d’origine alsacienne, Jean Georger parle l’allemand. Le texte ci-dessous est un extrait recopié de ses mémoires  manuscrites .
Michel Georger, fils de Jean.

Combats mai 1940 – Ardennes belges.

Nous avons appris avec consternation, mais sans  trop de surprise,l’attaque allemande sur la Belgique et la Hollande.

Branle-bas de combat du 12 au 18 mai,

sac au dos nous embarquons dans les trains… Il y avait urgence.
Nous nous retrouvons dans le Nord, à Bavay. (entre Maubeuge et Valenciennes) débarquement du train, puis rembarquement dans des cars, toujours dans l’urgence. De la situation générale nous ne savions rien, nous n’avions pas de journaux et le transistor n’existait pas encore.
Ce que nous avons vu en chemin dépassait notre imagination, si toute fois on peut imaginer ce qu’est une guerre. J’étais inquiet pour mes parents et pour mon frère.
Sur la route, la plus grande confusion régnait. Dans un sens la troupe qui allait quelque part et dans l’autre sens les gens, la peur au ventre, quittaient leurs villes et villages menacés. Il n’y avait pas encore de traces de combat ni de bombardements aériens.
Nous avons débarqué de nos cars dans la région de Valenciennes. À pied, nous sommes entrés en Belgique où nous avons pris position sur les rives d’une rivière. Ma section a mis en batterie ses mitrailleuses dans de belles villas. Nous avons percé les murs de briques rouges pour nous ménager des angles de tir.
Nous étions à peine installés que nous partîmes pour une autre destination.

Entre temps, nous avons vu des unités, ou plutôt ce qu’il en restait qui s’enfuyaient, le mot n’est pas trop fort, vers le sud. Ils nous criaient de faire comme eux, que tout était foutu.

Nous avons pensé qu’ils exagéraient et nous avons essayé de rester calmes et sereins.
Je me souviens plus très exactement quand les combats ont commencé pour nous. J’avais noté tout cela avec la précision des lieux. Mon petit calepin m’a été confisqué par les Allemands à la veille de mon retour de captivité. Je regrette de ne pas avoir reconstitué ces notes quand les événements étaient encore précis dans ma mémoire.
Nous avons eu quelques pertes au cours d’un accrochage, trois des hommes de mon groupe ont été tués à mes côtés par un obus de mortier allemand. Triste détail, ces trois camarades s’abritaient dans la tranchée, lieu ou en principe, il y a moins de risque. Quant à moi, tout le buste hors de la tranchée, à la jumelle j’observais ce qui se passait. Pas un éclat ne m’a touché. Le combat dura une bonne partie de la matinée. Nous avons une nouvelle fois décroché de nos positions alors qu’un certain calme était revenu.

Dans la soirée, nous avons pris position à un carrefour dans un hameau. Nous avons encore subi un bombardement, au cours duquel j’ai reçu un morceau de brique sur le bras gauche. J’ai cru être blessé assez sérieusement, car j’avais eu mal, mais j’ai remarqué que ma manche de capote seule avait souffert et que n’avais qu’un gros hématome. Encore de la veine ! Ce qui me fait souvenir de ce que me disait mon père. « Moi, à Verdun, j’ai toujours pensé que l’obus qui m’atteindrait n’était pas encore fondu »

Et en matière de fonderie, il s’y connaissait l’Édouard ! (1875-1960)
Dans ses écrits, Jean ne relate pas l’épisode tragi-comique qu’il m’a raconté avec tout son humour et que je rapporte ici : c’est probablement au cours de ce bombardement qu’il observait un village en compagnie de son copain, un séminariste…

Un obus allemand porte un coup direct à l’église, le clocher s’effondre et le séminariste s’exclame :
Merde mon usine !

Nous avons décroché une fois de plus. Tactique et feinte : mon groupe avait été désigné pour rester en position et tirer des rafales pour faire croire qu’il y avait encore du monde devant lui.

À la tombée du jour, nous avons enfin quitté les lieux et rejoint le gros de la troupe.
Ils nous semblaient que les manœuvres que nous effectuions avaient du sens. Nous ne savions pas que nous étions à ce moment-là complètement dépassés par l’avance allemande. Nous avons passé une nuit plutôt tranquille.
Au jour, branle-bas de combat,

pour assurer notre progression, nous devions occuper un village. Nous y sommes entrés en suivant une voie ferrée. La résistance des Allemands n’était pas bien vive. Nous avions bien conscience que le combat dans les rues était une chose sérieuse et nous étions tous attentifs à ne pas nous laisser surprendre. Aussi avancions-nous en longeant les murs, passant d’une encoignure de porte à une autre. À un
moment donné, quelques camarades se trouvaient devant le rideau baissé d’un magasin, ils suivaient un lieutenant.
Tout à coup, nous avons vu le rideau qui se levait, deux Allemands apparurent l’arme pointée. Nous avons eu le réflexe de leur crier :
– Derrière vous !
Le lieutenant a été le plus rapide, de deux coups de pistolet il a abattu les deux Allemands.
Nous avons occupé tout le village. Nous avons même fait des prisonniers, une dizaine peut-être. Ils nous semblaient assez goguenards. Nous avons su peu de temps après que nos prisonniers servaient dans une unité de service qui assurait le ravitaillement des troupes de première ligne.

En réalité, nous étions complètement dépassés, les blindés, les unités d’attaque avaient foncé, soit vers le sud, soit vers l’Ouest en se dirigeant vers Paris et d’autres vers la Mer du nord.
Ce qui restait du bataillon se retrouva à une des sorties du village où un commandant, qui lui connaissait la situation, nous ordonna d’aller nous rassembler à un endroit qu’il nous indiqua. C’était à quelques centaines de mètres du point ou nous nous trouvions.

Nous devions emprunter un petit chemin bordé d’un profond fossé, à peine nous y étions-nous engagés que nous avons subi un feu nourri venant de tout pré juste au-delà du fossé. Pour me protéger, je suis descendu dans le fossé, j’avais de l’eau jusqu’aux genoux. J’entendais les balles siffler autour de moi. À ma droite, j’ai remarqué celui qui me prenait pour cible, j’ai épaulé mon fusil et tiré. J’ai vu l’allemand s’écrouler sur le dos. J’ai continué à marcher dans l’eau, on ne me tirait plus dessus, je suis enfin arrivé à l’endroit indiqué pour le regroupement.

À ce moment-là nous vint l’ordre de cesser le combat.

Nous étions entourés de toute part de soldats allemands qui criaient dans toutes les directions :

Waffenstillstand !
En français : Cessez-le-feu !

Alors ; avec ce qui restait de notre groupe, nous nous sommes tous écroulés. Pas pour longtemps, car les ordres en allemand fusaient de toute part. On nous ordonnait d’abandonner nos armes et d’aller nous rassembler un peu plus loin.

Notre guerre se terminait sans grande gloire.

Dans ma section, il n’y a pas eu d’autres pertes que les trois camarades déjà mentionnés.
Cette constatation faite, c’est un grand abattement qui nous est tombé sur les épaules. Sans doute à cause du brusque arrêt de nos activités, mais aussi pour l’inquiétude de ce qui allait nous arriver.

Nous avions tous à l’esprit les récits de nos pères ou oncles qui avaient été capturés au cours de la guerre précédente : « la Grande ».

La captivité commençait…

Pour combien de temps ; nous pensions à l’évasion. Nous n’avions aucune information sur la situation. Nous étions à cent lieues de penser que nous étions à la veille d’une des plus grandes défaites que notre pays a connues au cours de son histoire.
Nous étions aussi très fatigués.

Prisonnier de guerre

Nous nous sommes rassemblés par section. J’ai pu récupérer ma musette, qui outre mes affaires de toilettes contenait un kilo de sucre que j’avais ramassé je ne sais plus où. Vers midi nous avons embarqué dans des camions qui nous ont emmenés dans le parc d’un château où nous sommes restés jusqu’au soir. Recrus de fatigue et complètement hébétés, la majorité d’entre nous se sont couchés à même le sol et nous avons dormi.
Alors que le soleil était déjà bas sur l’horizon, sans ménagement, fermement, mais sans brutalité on nous a poussés à nouveau vers les camions. Les panneaux routiers indiquaient que nous allions vers Mons où nous avons débarqué dans la cour d’une caserne. Des interprètes belges-Flamands ont traduit les ordres. Nous avons été dirigés vers les chambrées. Nous nous sommes installés à même le sol sur un peu de paille.

Nous avons dormi, dormi, dormi…

Nous avons pu faire un brin de toilette. Les repas consistaient en une louche d’eau grasse avec quelques minuscules morceaux de viande. En
réponse à nos réclamations au sujet de la nourriture, on nous a répliqué que nous étions nourris exactement comme les soldats allemands.

Je ne rapporterai pas les commentaires qui en découlèrent.
Au cours de ces deux ou trois jours à Mons, nous avons remarqué que tous les Alsaciens de notre régiment avaient disparu. Que tous les interprètes étaient des Flamands qui ne paraissaient pas beaucoup affectés par leur captivité. En revanche, les Wallons étaient traités comme nous.
Les nouvelles se précisèrent ; nous allions être conduits en Allemagne. Où ? Top secret.

Les ordres arrivèrent un beau matin. Nous allions partir pour Maastricht à la frontière belgo-néerlandaise. Par quel moyen ? À pied
bien sûr. Le parcours représentait quelque chose comme 125 à 130 km, par étape de 25 à 30 km par jour. Cela ne devait pas effrayer outre mesure les fantassins entraînés que nous étions, tout du moins mes camarades et moi.
Mais était-ce possible avec pour toute nourriture un brouet clair ? Nous avons fait étape dans les villes de Nivelles, Wavre, Tirlemont, St Trond, Tongres et enfin Maastricht. Via-Michelin indique une distance de 165 km, donc parcourue en 6 étapes.
En cours de route, nous avons vu les destructions des villes et villages traversés. Par contre, rien ne traînait des matériels militaires abandonnés par les vaincus. Pas grand monde au bord des routes et pas d’hostilité visible à notre égard. Nous avons eu une journée ou deux de repos à Tirlemont. Repos si on peut dire, car sans cesse nous étions appelés pour accomplir des corvées.

J’ai fait partie d’une équipe qui est allée à la sucrerie de Tirlemont pour charger des tonnes de sucre qui partaient pour l’Allemagne. À plusieurs, nous avons réussi à subtiliser des paquets de sucre en morceaux que nous avons dissimulés dans les jambes de nos larges pantalons.
Au fil des étapes, l’âge de nos gardiens augmentait.
D’abord pris en charge par des troupes du terrain, nous sommes passés sous la férule plutôt bonasse de soldats ayant probablement fait « la précédente ».

Cela fut particulièrement remarquable au cours de la dernière étape ou nous avons failli arriver à Maastricht avant nos gardiens.
La colonne de prisonniers comptait un important groupe d’Anglais. Tenue impeccable, rasée de frais, nos Anglais avançaient au pas cadencé en chantant. Nous avons été très impressionnés. On a beau ne pas être anglophile forcené, ces gens-là forcent l’admiration.

Les autres anglais que j’ai eu l’occasion de rencontrer au cours de ma captivité étaient tous du même tonneau qu’à la gare de Maastricht. Ils ne doutaient pas un instant de la défaite du Reich et de la victoire de leur pays.
À la gare de Maastricht, nous avons embarqué dans les fameux wagons de marchandises. Les « 40 hommes plus 8 chevaux en long » où nous avons été entassé à plus de 50.

Dans les années 60 (en 1966 probablement), à Noyon, sur un quai de chargement ferroviaire des usines Ronéo quelques-uns de ses convois étaient encore en service, portes ouvertes, mon père jeta un coup d’œil à l’intérieur et me dit : « C’est dans des wagons strictement identiques à celui-ci que nous avons été emmenés en captivité en Allemagne »…

visiblement c’était un très mauvais souvenir pour lui.

Sagan – stalag VIIIC

Je ne sais pas combien de temps nous avons roulé, peux être 36 ou 48 heures. Les arrêts avaient lieu en rase campagne, impossible de se repérer. Un matin, le train est arrivé à un terminus. Les portes des wagons se sont ouvertes des deux côtés. Une horde hurlante de « verts de gris » nous a poussés sans ménagement sur un quai désert.
Rapide coup d’œil au paysage plat sous un ciel gris. Au loin le vert sombre d’une forêt de sapins. Un panneau nous indique que nous sommes à Sagan, première fois que j’entendais ce nom. D’autres, plus renseignés, firent savoir que nous étions en Silésie, donc en plein centre de l’Allemagne.
Nous sommes conduits au camp. Mirador, barbelés, poste de garde, baraquement bas de briques couvertes de papier goudronné… voilà le décor.

Réunis par groupe d’une centaine environ, nous sommes dirigés vers les baraques en deux parties séparées par des barbelés. Il y avait déjà du monde dans le Stalag VIIIC, en particulier des aviateurs français qui étaient là depuis plusieurs mois.
Les chambres étaient dotées de lits à trois étages garnis de copeaux de bois et d’une seule couverture. La vie s’organisa plutôt mal que bien. Le matin réveil à 6 heures, un peu d’eau chaude en guise de café puis rassemblement sur 9 rangs pour le comptage.

Qui n’a pas participé à un comptage par les Allemands n’a rien vu.

Ils s’y mettaient à trois ou quatre, mais aucun ne trouvait jamais le même nombre que son collègue, d’où
attente et fatigue pour nous, les gens à l’estomac vide.
Finalement, ils renonçaient et attendaient le compte que leur donnait notre responsable-chef de baraque.
Il faut aussi parler de ces chefs de baraque français et de l’interprète, lesquels logeaient dans une pièce à part et bénéficiaient de petits avantages qui faisaient que ses places étaient convoitées et jalousées ? Le chef de baraque et l’interprète étaient les intermédiaires entre les gardiens et les prisonniers.

Leur rôle était assez flou et nous nous sommes souvent demandé ce qu’ils avaient fait pour obtenir ces planques. Ils n’étaient pas très aimés, à cette époque dans les camps le vocable « collabo » n’avait pas encore cours. Mais bientôt : « Lèche-culs » ou mieux : « Râpe à miche » était compris par tous.
Puis nous avons été recensés, nous avons subi un interrogatoire sommaire portant sur notre identité, notre régiment, notre grade, notre lieu de capture.

Nos pauvres bagages ont été fouillés. Cependant, la Wehrmach respectait « la Convention de Genève ». C’est ainsi qu’on nous laissa notre livret militaire. Nous pouvions continuer à porter nos insignes de grade.

Vinrent ensuite les opérations de tri.

D’une part les hommes de troupe, de l’autre les sous-officiers. Cela ne manqua pas de nous perturber, car nous avions réussi jusque là à rester ensemble par unité. Avec des camarades sergents, nous étions restés groupé avec les caporaux-chefs, caporaux et soldats. Chacun ayant en charge la petite unité qu’il avait toujours eue à ses côtés.

Les Allemands ne voulaient pas de cela, les sous-officiers selon la fameuse « Convention de Genève » n’étaient pas astreints au travail. Nous avons donc été cantonnés dans des baraques et des blockhaus à part. La vie au camp se réorganisait.

Par baraquement, nous avons compté des chefs de baraques et des chefs de travées. Ils étaient chargés de la bonne distribution des repas.
Évidemment, le régime alimentaire auquel nous étions soumis avait fortement dégradé notre état physique, pour ma part j’étais si faible que j’avais du mal à faire 100 m à pied.

Les jours et les mois s’écoulaient lentement,

toujours avec ces appels interminables, les rumeurs les plus invraisemblables qui circulaient et toujours cette obsession de la faim. Et les poux…
Nous n’étions pas depuis un mois en Allemagne que les poux faisaient leur apparition.

Après avoir passé au moins deux ans dans les casernes françaises, puis neuf mois de cantonnements dans des granges, étables, greniers, jamais nous n’avons eu de poux.

Il ne devait pas en être de même pour la Wehrmacht qui était équipé pour l’épouillage.

Nous avons eu les cheveux tondus à ras et les vêtements passés à l’étuve. L’effet perdura quelques semaines et les poux revinrent nous importuner.
Les poux sont frileux, ils affectionnent les endroits chauds : les coutures des pantalons et des chemises… nous les traquions dans leurs repaires avec des séances d’épouillage qui durait plusieurs heures. Quelques gais lurons affichaient leur tableau de chasse et annonçaient fièrement, 20, 30, 40 poux massacrés.
On nous avait distribué des cartes à l’emblème de la « Croix-Rouge » elles étaient destinées à nos parents et aussi aux fichiers de l’organisation internationale. Et nous avons commencé à attendre le courrier et les colis.

Lettres et paquets commencèrent à arriver, moi je ne recevais rien, j’étais de plus en plus inquiet au sujet de mes parents et de mon frère.
La nourriture occupait la plus grande partie de nos conversations. On ne parlait que de repas de famille ou de restaurants que nous avions fréquenté.

Les plus raffinés d’entre nous reconstituaient des recettes qu’ils consignaient sur des calepins qui étaient recopiés. On ne s’étonnera donc pas de cette psychose générale de ce l’on appelait pas encore « la bouffe ».
On ne sait pas pourquoi, mais l’ordinaire s’était un peu amélioré. Des observateurs allaient rôder autour des cuisines et l’information la plus attendue de la matinée était la qualité de la soupe qui serait distribuée à midi.
Quand elle était signalée épaisse, le moral était dans la baraque. La distribution de la soupe avait le caractère d’une cérémonie avec l’officiant et ses acolytes.

Il était d’abord distribué 1 litre, puis le « rab » était réparti le plus équitablement possible. Il avait été établi des règles strictes dont la mise en œuvre était sérieusement contrôlée par les responsables de baraque et de travée.

Vers 17 heures, on distribuait le repas du soir

 un morceau de pain noir avec soit de la margarine, soit une rondelle d’une espèce de saucisse ou la valeur d’une cuillère de confiture.

Le pain se présentait sous la forme d’un gros cake.

C’était la ration pour cinq, le partage ne devait léser personne. Pour cela, le « partageur patenté » coupait une part centrale, puis partageait en deux les parties extérieures qui représentaient les croûtons. Les croûtons étaient fort prisés.

Aussi la distribution se faisait par tirage au sort.
Les colis continuaient à nous parvenir, l’instant de la distribution était pour moi un moment pénible, je n’étais jamais appelé. Bien des fois, j’ai eu les larmes aux yeux, j’allais m’allonger sur mon lit et je restais muet pendant des heures… Je n’y croyais plus, quand un beau jour enfin j’entends mon nom.

Je n’ai pas eu à me déplacer, rapidement, passant de main en main la missive qui m’était destinée m’arriva accompagnée par la joie de mes camarades. C’était une carte de mon frère qui de son camp pour officier « son Oflag » me donnait de ses nouvelles et aussi de nos parents.

Sa femme était du côté de Bordeaux et nos parents à Saint-Julien-Chapteuil, prés du Puy-enVelay dans le département de la Haute-Loire, « en zone non occupée », cela a son importance.

Car si de la zone occupée l’envoi des colis était limité, en revanche de la zone libre les restrictions étaient moindres. J’avais donc l’espoir de recevoir bientôt des colis qui amélioreraient un peu mon ordinaire.
J’avais comme voisins de couchage des garçons originaires de zone non occupée, ils réceptionnaient de
nombreux colis bien garnis. Ils les mettaient en commun, on appelait ça « cantiner » ensemble. Ainsi nourri ils touchaient assez peu à la soupe.

Généreusement, ils me donnaient leur part.

Je parvenais grâce à eux à satisfaire mon appétit de jeune homme de 21 ans.

Peu à peu, je reprenais des forces, mes joues se remplissaient et ainsi je recouvrais un aspect plus humain.
La vie s’écoulait monotone, le temps tournait au froid.
J’ai déjà dit que nous étions sous officier et non astreints au travail. Malgré les exhortations de nos gardiens, malgré la promesse d’une nourriture meilleure et d’un petit salaire ; aucun de nous ne fut volontaire pour aller travailler à l’extérieur du camp.
Mais un jour, on nous commande d’aller nous rassembler sur la grande place du camp, nous y sommes
allé en traînant les pieds et inquiet sur ce qui allait se passer…

« radio cuisine » n’avait pas fonctionné.

Sur la place devant plusieurs centaines de sous-officiers de feu l’armée française, arriva un officier allemand de grade : au moins colonel… il entreprit un grand discours comme savent le faire les Allemands. Je comprenais au passage les mots :

« arbeit » = travail et « freiwillig » = volontaire.

Les aboiements continuèrent pendant de longues minutes, puis vint la traduction. En effet, on nous demandait de faire acte de volontariat au travail. L’interprète allemand cria : « Les volontaires pour le travail sortez du rang » pas un seul d’entre nous ne bougea.

Il reprit alors : « Peut-être n’avez vous pas bien compris ? » Alors et d’une seule voix nous répondirent : « Si si, nous avons bien compris, mais nous ne voulons pas aller travailler »
Alors le discours changea de ton :
« Vous serez enfermés dans un block d’où vous ne pourrez pas sortir et aller dans le reste du camp. Vous
n’aurez plus le droit d’aller à la chapelle pour entendre la messe… » et s’ensuit l’énumération de toutes sortes d’interdiction dont je ne me souviens plus.
Nous avons changé de baraque, nous ne quittions plus notre block, etc. Nous n’imaginions pas ce qui allait nous arriver, nous allions bientôt le savoir.

En commando de travail pour l’évêque de Breslau

Un jour, en fin d’après-midi, nous avons été rassemblés par groupe d’une centaine environ. L’ordre tomba sèchement :
« Vous allez tous être envoyés en commando de travail ».
Nous étions consternés, certains imaginaient déjà des combines fabuleuses pour échapper au sort qui nous était enjoint. Je me suis donc retrouvé dans un groupe d’une cinquantaine de camarades. Je les connaissais seulement de vue.

Après m’être entretenu avec les uns et les autres, ils me parurent sympathiques.
Deux ou trois jours plus tard, nous sommes conduits à la gare. Une bonne journée de voyage. Durant le trajet, la neige s’est mise à tomber. Il faisait presque nuit quand nous débarquons dans une autre gare à peine éclairée. Il y avait environ 20 cm de neige.

Dans la boue et la neige fondante, nous avons marché un bon bout de temps. Enfin, nous sommes arrivés dans un petit camp à l’orée d’un bois de sapin.

Autour d’une assez vaste cour étaient répartis différents bâtiments visiblement neufs. Le plus grand était
le dortoir avec en bout le logement des gardiens. De l’autre côté, une construction similaire qui faisait office de réfectoire avec les cuisines et une salle d’eau avec trois ou quatre pommes de douche à l’eau froide.

Agréable surprise l’ensemble était chauffé, des poêles à sciure dispensaient une bonne chaleur. Cela nous changeait des baraques de Sagan.

Le couchage se composait d’une paillasse d’un traversin et de deux couvertures, par rapport
à Sagan c’était le confort.
De notre interprète nous avons appris que notre employeur était l’évêque de Breslau et que nous serions
employés à des travaux forestiers. Premier repas, patates, pain, tisane de feuille de ronce. Depuis bien longtemps première nuitée au chaud.

C’est l’hiver 1940/41.

Au réveil, surprise, la neige était tombée toute la nuit, au moins 40 cm recouvrait le sol. Donc pas moyen d’aller au boulot ce jour-là et les jours suivants pendant 15 jours.
Toute la journée, on glandait entre la chambrée et le réfectoire. Dimanche soir, étonnement, distribution
gratuite de tabac, un paquet chacun, don de l’évêque, le moral s’arrangeait.
Au chaud, des patates presque à volonté, de la soupe et pour le moment pas de boulot. Beaucoup d’entre nous pensaient que ce n’était pas plus mal qu’à Sagan.

Les gardiens n’étaient pas emmerdants, eux aussi sans doute se trouvaient mieux là que dans leurs casernes ou dans leur cantonnement. La campagne de Russie n’était pas encore commencée.
Quand la météo devint plus clémente, nous avons été emmenés en forêt pour déneiger les chemins.

Il est préférable de dire que les pelles étaient maniées avec une certaine nonchalance. Puis le temps s’adoucit et le travail changea, il s’agissait d’aménager un passage d’exploitation pour le débardage de grumes de sapin. Là non plus, faut-il le préciser, nous ne manifestions pas une ardeur excessive.
Il s’agissait d’abaisser les buttes du terrain et de combler les creux. Pour cela, nous remplissions des
wagonnets que nous poussions sur les rails et parfois dans le trou.

Pendant que nos gardiens réfléchissaient à la manière de remettre le wagonnet sur les rails, le temps passait et nous ne travaillions pas.

Nombre de pelles et de pioches disparaissaient aussi dans le remblai.

Nos chiens de garde ont mis pas mal de temps à s’expliquer pourquoi il manquait tant d’outils.
Il faut aussi évoquer le « père la pipe ». Avec le printemps vint le moment de l’abattage des sapins les
moins vigoureux. Pour cela nous sommes répartis en équipes de dix, munis de haches, scies passe-partout et grumoirs (il doit s’agir d’un outil ancien pour écorcer le tronc) sous la conduite d’un bûcheron allemand.

Il s’agissait d’abattre les sapins, de les ébrancher, de les écorcer et de les débiter pour en faire des stères. Notre bûcheron allemand se nommait Schubert : petit chapeau orné d’une plume, un costume de velours à grosses côte et sortant d’une de ses poches le long tuyau d’une grosse pipe à couvercle. Il nous emmenait toujours sur le chantier le plus éloigné des gardiens.

Sous la conduite de Herr Schubert, rapidement baptisé « la pipe » nous devions abattre et travailler environ 10 stères (10 m²) par jour.
Quand Schubert jugeait le travail assez avancé, il décrétait une pause et faisait circuler sa blague à tabac. Nous roulions tant bien que mal une cigarette avec ce tabac grossier et âcre, mais seul le geste comptait. Nous travaillions plutôt sérieusement puisque « la pipe » nous « foutait » une paix royale.

En commando à la ferme Burckvard

Cette quasi-planque dura jusqu’au début de l’été quand intervint un changement. Une ferme à quelques kilomètres de là, réclama de la main-d’œuvre. Il fallait une dizaine de prisonniers.

Neuf d’entre nous furent désignés ; et moi le plus jeune de tous je vins compléter le nombre à dix. Nous voilà en route pour « Gross-Kantzendorf » pour la « Gutsverwaltung ».

En plus simple : une exploitation d’une centaine d’hectares cultivés et autant en forêt, plus une carrière de laquelle on extrayait du marbre.
Le logement était situé dans un bâtiment du corps de ferme. Il se composait d’une grande pièce meublée de lit à étage, avec paillasse et couvertures. Un autre espace servait de salle à manger, mais aussi de cuisine (toute équipée).

Le tout pouvait être chauffé par un énorme poêle en faïence.

On nous expliqua que chaque jour on nous remettrait les vivres pour la confection du repas que l’un d’entre nous devait cuisiner. Nous nous sommes regardés, interloqués. Mais tout de suite, un volontaire s’avança et Aimé Bousquet, un bordelais, devint notre cuisinier.

Il devait en outre assurer le ménage et consacrer quelques heures de l’après-midi à des travaux dans le potager.
La ferme était dirigée par Herr Burckvard ancien officier de l’armée autrichienne. Il semblait en piètre
santé. Nous l’apercevions quelquefois. Il portait toujours une immense cape et un grand chapeau. Nous n’avons pas tardé à le surnommer « Fantomas ».

C’était d’ailleurs une habitude dans une conversation de ne jamais employer le terme exact, soit en français soit en allemand, ceci afin de ne pas attirer l’attention. Ainsi le führer Adolf Hitler devenait « machin » et l’Allemagne « la grande machinerie ».
En réalité, « Fantomas » laissait la direction de l’exploitation à son épouse et à ses enfants.

Il y avait une trentaine de vaches laitières, dix ou quinze cochons, quatre chevaux et deux bœufs composaient le cheptel.

Il y avait aussi un puissant tracteur.

En ce qui concerne le personnel un contremaître, un tractoriste, deux charretiers, quatre femmes et trois jeunes filles et une famille de Polonais.
Nous venions donc compléter cette main-d’œuvre.
Les premières journées de travail furent consacrées au binage des betteraves à sucre. Tâche rebutante, fastidieuse et fatigante s’il en est. Surtout quand vous avez constamment derrière vous un Chleuh en uniforme, arme à l’épaule, lequel méfiant nous accompagnait même pour les besoins naturels.
Comme il y avait souvent des femmes dans l’équipe de bineurs, cela posait problème.

Il fallait s’éloigner suffisamment pour ne choquer personne. Mais si le chleuh accompagnait l’un d’entre nous, il en laissait huit autres sans surveillance. Alors il se plantait à mi-distance, inquiet de perdre de vue le ou les pisseux et ceux qui restaient au travail.

Nous n’avons pas tardé à remarquer le comique de la situation. Nous avons donc usé et abusé. Aux
observations du boche, nous répondions avec gestes et onomatopées qu’avec la nourriture et la boisson que l’on nous refilait, pisser était tout à fait naturel.
Inutile de vous dire qu’à la distance que nous étions de notre pays l’idée de nous évader nous effleurait à peine.
Puis vint le temps de la fenaison, puis celui des moissons, puis la récolte des pommes de terre, puis les
semailles… en un mot tous les travaux de la ferme.
Au fil des jours, les rapports avec le personnel de l’exploration devinrent bons, sympathiques même… mais il survint aussi un problème, il n’était pas toujours possible d’employer 5 ou 6 prisonniers dans le même endroit en raison de la diversité des tâches d’où problème de garde.

Finalement, le gardien resta à la ferme. Cela ne changeait rien à la monotonie du travail, mais cela nous
convenait mieux. Jusqu’au jour où on nous demanda de nous rassembler dans notre logement après le repas de midi. Nous étions tous assis autour de la table nous interrogeant sur ce qui allait se passer. C’est alors qu’entrèrent dans la pièce, notre gardien, un gendarme en uniforme ordinaire et un autre en uniforme plutôt ancien.

Alors dans un geste symbolique, notre gardien manœuvra la culasse de son Mauser, retira la cartouche qui était engagée dans la chambre de tir et la remit dans sa cartouchière. Le gendarme se lança dans un long discours, d’où il ressortait que désormais notre gardien ne nous suivrait plus comme un petit chien. Outre notre Komando, il s’occuperait désormais de celui des prisonniers anglais qui travaillaient à l’exploitation du marbre.

Le soir, il fermerait à clef la porte de la salle, mais nous devions déposer nos pantalons dans la cuisine.

De plus le dimanche nous pourrions aller nous promener aux alentours dans la campagne et même aller
jusqu’à une auberge tout à fait à l’extérieur du village où nous pourrions consommer. Nous n’avons pas manqué de réfléchir à cette nouvelle situation, elle nous arrangeait bien.

Et nous constations que « la grande machinerie » commençait à manquer d’effectifs et qu’elle récupérait tout le personnel possible.
Nous n’avons que modérément profité de ces dispositions de bienveillance à notre égard.
Nous n’avions pas besoin d’aller au bout du village pour boire une bière. Une cour de la ferme donnait accès à l’arrière d’une auberge, laquelle faisait face à la gendarmerie. Un jour nous armant de culot, trois d’entre nous dont j’étais (parce que je comprenais assez bien l’allemand, mais le parlais un peu moins bien) nous avons poussé la porte arrière de l’auberge.

La tenancière de l’auberge que nous connaissions de vue vint à notre rencontre avec un large sourire. Au lieu de la salle principale, elle nous désigna la cuisine ou elle nous servit ce que nous demandions, soit une grande chope de bière.
Tout contents de nous, nous avons raconté notre équipée aux copains. Et sans abuser de la situation pour ne pas nuire à l’aubergiste, nous allions tout de même une ou deux fois par semaine prendre une chope.
Un beau dimanche, avec Beaumont et Bousquet, nous nous rendons à l’auberge.

Nous poussons la porte, nous entrons dans la cuisine, mais par le passe-plat nous voyons le schupo qui entrait dans la salle. Il commande une bière que l’hôtesse lui sert. Puis il demande un schnaps qui lui est refusé pour cause de rationnement.

Dans la cuisine nous n’en menons pas large, enfin le schupo s’en alla.
Nous avons consommé notre bière… et le patron de nous dire :
« Si vous voulez du schnaps, pour vous il y en a encore ».
Le cocasse de l’aventure ne manqua pas de réjouir grandement les copains.

La vie se poursuivait rythmée par les travaux agricoles. L’hiver a été fort précoce en 1941, il s’est mis à neiger exactement le 12 octobre.

La couche s’est vite élevée à 30 cm. Nous avons déneigé, d’abord la ferme, puis les chemins aux alentours, puis les routes empruntées par le car de ramassage scolaire. Oui ! cela existait là-bas… le ramassage scolaire.

Puis nous avons trié les pommes de terre. Ensuite, nous avons préparé les engrais. Il s’agissait de mélanger de la chaux en poudre avec des scories de… (illisible). Le travail n’était pas pénible, mais la poussière de chaux irritait les muqueuses du nez et j’ai attrapé à cette occasion un des plus forts rhumes de ma vie.

Il y avait aussi le battage du blé, du seigle et de l’orge. Travail plutôt pénible et dans la
poussière. La meilleure place était de se trouver sur le tas de gerbes et de les passer une à une à l’égreneur sur la batteuse.
Un jour, panne de moteur électrique. Travail arrêté, consternation, comment occuper le personnel ? Nous Français, toujours malins, mais très futés en la circonstance, nous n’avons pas tardé à détecter la panne.
Elle venait du rhéostat, probablement un connecteur dessoudé. Diagnostique de Popaul, qui bien que sous officier de carrière avait des notions de mécanique.
Le contremaître, admiratif, confia aux Français la délicate tâche de réparer le rhéostat défaillant, sous la
conduite de Popaul. Le temps de trouver la clef adéquate, l’engin est démonté.

En effet, une soudure avait lâché.
Minute de réflexion profonde dans la tête du contremaître qui se lisait sur sa face ronde et colorée. Puis l’un de nous a dit :
« Et le forgeron, il pourrait la faire, la soudure ! »
Nous connaissions le forgeron, également maréchal ferrant, chez qui nous allions tenir les pieds des chevaux pour le ferrage.
Le contremaître désigne Popaul et Georger pour aller chez le forgeron. Il nous reçoit assez fraîchement. Par geste et avec ma petite connaissance de la langue, nous lui expliquons ce que nous désirons. Finalement, il consent à faire la soudure. Retour à la grange et branchement du
courant.

Et hop la ; la batteuse redémarre, tout le monde était soulagé.
Mais le soir entre nous, nous avons réfléchi à notre aventure. En vérité, nous aurions bien mieux fait de nous tenir tranquilles et de les laisser se débrouiller avec leur panne. La Wehrmacht pouvait bien attendre quelques jours de plus le blé que nous battions.

Nous étions partagés entre le besoin bien français de montrer notre débrouillardise et le devoir de ne pas trop aider nos geôliers. Par ailleurs, nous étions fort bien traités dans cette ferme où nous étions somme toute assez bien considérés.
Alors ! Quelle attitude avoir ? Vis-à-vis de gens qui visiblement ne nous voulaient pas de mal et de ce qui
devait être prudente réserve de notre part.
Va donc savoir ?
Cela n’a pas empêché que nous avons continué à travailler consciencieusement.
Noël approcha à grands pas, comment marquer le coup ? La patronne demanda à parler à notre
« vertrauensmann » « homme de confiance », appellation contrôlée grande machinerie.
Au cours de l’entretien, elle propose de nous donner un sapin en vue de le décorer pour fêter Noël. Nous pourrions acheter les guirlandes et autres bougies et accessoires à l’épicerie du village.

Le choix du sapin, son abattage et son transport ne posa aucun problème à des gens qui avaient été bûcherons il n’y a pas si longtemps.
À quelques jours de Noël, un sapin de 3 m au moins trônait dans la grande pièce de notre logement. Nous
avions magnifiquement travaillé pour la décoration… La « mère cochons », le « père tracteur », ainsi que sa femme ont un peu hésité à nous demander à voir notre sapin. Ils en sont restés béats d’admiration. Il faut dire que nous étions contents de nous. Et nous n’avons pas tardé à avoir des échos de cette visite.
Il faut préciser que la « mère cochons » était la femme qui s’occupait de la vingtaine de porcs élevés à la ferme.
Et que le « père tracteur » était le conducteur du tracteur.
Ces appellations n’avaient rien de moqueur, encore moins d’injurieux.

Mais ressortait de la convention tacite de ne jamais employer de noms propres dans nos conversations pour éviter que quiconque comprenne de quoi nous parlions.

C’était donc Noël 1941,

nous étions loin de penser que les prochaines fêtes nous le passerions chez nous.
Puis le printemps 42 et les beaux jours revinrent avec les travaux de saison. En attendant l’été, Popaul et moi avions été chargés de l’entretien du matériel, en particulier de la machine à battre. Cela nous convenait parfaitement d’autant plus que nous étions seuls dans la grange.
Si Popaul, sous-officier de carrière dans un régiment de Dijon avait des notions de mécanique, moi je n’avais pas encore fait grand-chose de mes dix doigts. J’avais pourtant le goût du bricolage et de la mécanique.
Nous avons tout démonté, nettoyé, remontés. Nous étions à peu près sûrs du résultat. Et en effet, la machine fonctionna de nouveau. Nous avons fait traîner l’affaire une bonne quinzaine de jours.
Nous avons aussi charrié du fumier…

 Pas marrant ce boulot qui consistait à charger l’énorme tas de fumier « mist » en allemand sur des chariots que conduisaient Beaumont et Grubemann ou sur des traîneaux quant il y avait de la neige. Il fallait aussi décharger ce fumier dans un champ en bordure d’un bois de sapin.
Au loin les montagnes enneigées, pas un seul bruit.
C’est cette matinée-là et peut être la seule fois de ma vie que j’ai entendu le silence. Chaque fois que je suis allé « à la neige » comme l’on-dit aujourd’hui et contemplant le paysage, cette matinée de fin d’hiver en Haute Silésie me revient en mémoire.

 Il n’y a pas que de mauvais souvenirs de captivité.

L’hiver 1941/42 qui finissait n’avait pas été trop pénible.

Avec l’arrivée des beaux jours, nous avons repris les travaux dans les champs. Comme je l’ai déjà écrit précédemment deux d’entre nous avaient été désignés comme charretiers. Parce que les artilleurs à cheval, ils étaient familiarisés avec les chevaux.

Donc Beaumont et Grubemann, ce dernier malgré son nom ne parlait pas un mot d’allemand. Je me souviens qu’il était commis d’architecte à Lyon. Il était plus imprégné de traditions lyonnaises que Germaniques.
Pour suppléer à une éventuelle indisponibilité du conducteur du tracteur, Beaumont et moi avons été initiés à la conduite de l’engin. C’était une énorme machine qui fonctionnait au mazout.

Pour faire démarrer le moteur, un diesel mono cylindre horizontal, il fallait chauffer la tête de culasse avec une lampe à souder.

Quand l’ensemble était estimé assez chaud, à l’aide du volant de direction que l’on fixait sur le grand volant d’entraînement on imprimait manuellement un fort mouvement de rotation qui lançait le piston jusqu’au démarrage de l’engin.
Quelquefois, celui-ci un peu cabochard partait à l’envers. Il fallait recommencer toute l’opération. C’était
la distraction de supposer si le « Lenz bulldog » allait partir du bond pied.
Au cours d’un voyage d’agrément au Tyrol, j’ai revu un tracteur du même modèle. Les souvenirs me sont
revenus en masse et en particulier l’aventure arrivée à une des filles de la patronne de la ferme pendant l’heure du repas de midi. La Gretchen avait été relever le « père tracteur », car il fallait terminer assez rapidement le labour d’un champ. Ce champ n’avait pas une forme géométrique régulière et une partie était plutôt pentue.

Mais, Gretchen a fait une fausse manœuvre et a foutu le tracteur dans le fossé qui bordait le champ. Grosse émotion dans toute la ferme. Évidemment, le tracteur patinait et ne pouvait pas sortir du fossé par ses propres moyens, discussion, concertation.

Finalement, l’idée toute simple vint de l’un d’entre nous :
« Et si l’on tirait le tracteur avec deux ou quatre chevaux ».
C’est alors que nos artilleurs entrèrent en action, l’attelage équin, ils connaissaient bien leur sujet. Le temps de réunir, chevaux, palonniers, chaînes, etc., et en un rien de temps le tracteur sortaient de sa malheureuse position. La patronne décida que Gretchen ne conduirait plus le tracteur.
J’ai déjà dit que le gardiennage avait été réduit au minimum.

Vint un moment où l’on ne voyait plus notre gardien que lorsqu’il venait nous remettre le maigre courrier que nous recevions. Donc plus de portes fermées le soir, ce qui nous procurait une sensation de liberté certaine. L’occasion d’en profiter se présenterait peut-être.
Au cours de nos occupations, il nous arrivait de rencontrer, assez rarement, il faut le souligner des Français cantonnés dans les villages voisins. Nous nous sommes convenus d’organiser des rencontres. Le dimanche par exemple nous retrouvions à un endroit fixe. Nous avons eu aussi des contacts avec les camarades de notre ancien Komando. Ceux-ci nous firent savoir que l’un d’entre eux que nous connaissions bien voulait s’évader.

Il lui fallait réunir de l’argent.

Bien sûr, nous ne disposions que de « largerfeld » (lire argent de camp) qui n’avaient cours que dans certain magasin et tout au plus pour acheter du dentifrice et des lames de rasoir. Mais pour le candidat à l’évasion cela ne posait pas de problèmes, il avait la filière pour changer les Marks de camp en Marks courants. Sans aucune hésitation, nous avons vidé nos poches.

Un beau dimanche, à un carrefour de forêt nous avons remis à au candidat à l’évasion une somme modique, mais qu’il apprécia. Nous n’avons jamais eu d’information sur l’aboutissement de son projet. Quant aux camarades des villages voisins, ceux-ci nous ont décidés de venir leur rendre visite ; et que nous aurions droit à une belle surprise.
Le jour ou plutôt le soir convenu. Trois ou quatre d’entre nous, je ne sais plus combien, nous avons quittés notre ferme. Nous nous sommes bien vite retrouvés à l’entrée de leur village. On nous a conduits à une maison au centre du village, nous sommes entrés par une porte à l’arrière qui se révéla être un bistro. Il y avait déjà du monde, d’autres prisonniers bien sûr, mais aussi plusieurs femmes, dont la tenancière du bistro.

Il faut préciser que son mari était quelque part sur le front russe et qu’elle
l’avait remplacé par un prisonnier. Celui-là très à l’aise, jouait le maître de maison.

Il nous fit servir de la bière.
Nous avons mangé des tartines avec des tranches de lard maigre. Nous avons essayé d’écouter « Radio Londres », mais ce soir-là le brouillage ne permettait pas de comprendre.
Vers le milieu de la nuit, nous sommes repartis vers notre maison, toujours à travers champ, un peu inquiet tout de même. Mais tout se passa sans encombre, nous nous sommes couchés avec soulagement.
Le lendemain, nous avons raconté notre aventure.

Ce que nous avons fait était peut-être imprudent. Mais comment les Allemands auraient-ils pu imaginer un pareil manquement au règlement ? … MDR.
Quelque temps après, nous avons invité nos camarades et nous avons fait travailler notre imagination pour les recevoir « avec faste ».

Il faut dire que le gardien avait été informé et qu’il y consentait. Tous n’étaient pas des brutes et des nazis. Celui-là avait pour nom « Lichtblau » ce qui se traduit par lumière bleue. On n’aurait pas inventé mieux. Nous avons toujours pensé que « lumière bleue » était un planqué.
Les camarades avaient apporté deux bouteilles de vin de Hongrie, du « Tokay ». Va donc savoir ou il avait dégoté ça ?

Ainsi que deux belles miches de pain presque blanc. Quant à nous, Bousquet, notre cuisinier avait préparé des cuisses de grenouilles.

Les grenouilles abondaient dans les champs et les prés. Il n’y avait qu’à se baisser.

D’autant plus que les Allemands, comme les Anglais, ont ces batraciens en horreur. Je ne sais plus
comment l’après-midi s’est terminé, mais ce fut un bon moment qui malheureusement ne s’est pas reproduit.

L’été 42 passa

nous arrivions en automne, il faisait encore vraiment beau. À part de petites gelées matinales, les grands froids n’avaient pas fait une apparition précoce comme l’année dernière.

Rien ne disait que nous ne passerions pas un autre hiver loin des nôtres et de notre pays.

Fin de la captivité

Quand soudain la nouvelle tomba ;
– Demain, vous faites vos paquets et vous rentrez au camp » sans autre précision.
« Pourquoi » ? La question occupait notre esprit. Peut- être irons-nous travailler en usine ? Cela ne nous
réjouissait pas.

Et puis après tout, nous étions bien dans cette ferme.

Nous avions assez bien assimilé le travail.

La patronne semblait nous apprécier.

Nous avions de bons rapports avec le personnel.

Nous étions convenablement logés.

Nous ne crevions pas de faim.

Alors pourquoi ?
Au moment du départ, la patronne vint nous dire qu’elle était peinée de nous voir partir.

Nous avons pensé qu’elle était sincère. Elle regrettait certainement la main d’œuvre qu’elle perdait. Peut-être craignait-elle aussi de devoir nous remplacer par des Russes.
Munis d’un casse-croûte, nous partons pour la gare.
Nous devions changer de train dans une ville dont je ne me souviens plus du nom. Sur le quai, nous attendions le train, la tête basse et l’esprit plein de questions sur notre sort futur… mais arriva le train que nous attendions.
Qu’elle fut notre surprise de voir apparaître des têtes coiffées du célèbre bonnet de police à deux pointes et dessous des gars qui nous interpellaient :
« Veinards, vous aussi, vous rentrez en France ? »
Nous avons pris cette information pour une plaisanterie.
Dans le train qui repartait, nous avons eu les précisions qui nous manquaient. Nos camarades affirmaient
sérieusement que nous allions au camp de « Teschen », d’où nous serions dirigés vers celui de « Sagan ». Dans les quinze jours à trois semaines, nous serions en France.
Ils étaient si affirmatifs que nous avons fini par y croire, mais avec tout de même un petit doute au cœur.
Tout cela se déroula bien comme il nous avait été dit.
Une huitaine de jours à « Teschen » une dizaine peut être à « Sagan ».

Fouille et refouille de nos maigres bagages occupait une partie de notre temps.

Nous faisions partie d’un contingent de la « relève ».

Une opération concoctée en juin 1942 entre le gouvernement de Pétain et le gouvernement du 3e Reich.
Cela consistait à échanger un prisonnier de guerre contre trois travailleurs « volontaires ». En un mot une variante du trop célèbre « S.T.O » (Service du Travail Obligatoire).
Tout cela n’était pas très net, mais devions-nous nous considérer comme impliqués dans une opération assez malhonnête entre deux gouvernements ? En étions-nous responsables et devions-nous endosser une part de culpabilité ?
Je n’ose rien affirmer, aujourd’hui encore je ne prends pas position, sauf en ce qui concerne le choix.

Le Komando de « Gross-Kantzendorf » était composé en majorité d’hommes de moins de 35 ans, la plupart célibataires : pourquoi des célibataires à la place d’hommes mariés ?
Dans notre cas, aucun critère ne semble avoir guidé le choix des Allemands… échange de bétail contre bétail, le compte est bon et en route.

Trois jours de chemin de fer pour rentrer en France.

Cette fois, pas de « 40 hommes – 8 chevaux », mais des wagons de marchandises certes, avec des banquettes et au milieu un gros poêle avec une petite réserve de bois et plus question de portes bouclées.
Premier arrêt en gare d’une ville de France ; Châlons-sur-Marne.
Sur le quai des dames de la Croix-Rouge, des tables avec des casse-croûte et des pots avec une boisson
chaude. Relations assez froides et qui ne s’éternisent pas, mais les réticences étaient plutôt de notre côté.
Finalement, nous sommes arrivés en gare de Compiègne.

Débarquement sans fanfares ni orphéons.

Coup d’œil circulaire, des ruines partout. Nous traversons la rivière Oise sur un pont bateau. Juste en face une caserne. Première nuit dans des chambrées avec de bons vieux lits des casernes d’antan. La journée suivante est consacrée à toutes sortes de formalités. Une grande salle séparée par une cloison avec au centre une porte étroite.
Les autorités allemandes nous remettent une fiche, puis après avoir quitté tous nos vêtements, tour à tour nous passons la porte.
De l’autre côté nous sommes chez les Français, nous sommes rhabillés de pied en cap, chemises, caleçons,
chaussettes, pull-over et costume gris… tout neuf pour une nouvelle vie.

De plus, nous avons droit à un télégramme gratuit pour avertir nos familles.

Je l’adresse à mon frère à Maisons-Alfort, en souhaitant vivement qu’il soit à la gare du Nord pour m’accueillir.

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